Vous avez tous à un moment ou un autre eu affaire aux redoutables marcheurs d'ombres.
Certains avaient du mal à se les représenter. Voilà une nouvelle pour les aider.
Beaucoup d'autres suivront, sur bien des créatures et des lieux différentes.
Méa Culpa pour les fautes, je relirais plus tard dans la soirée.
Tout avait commencé un matin comme un autre, lors d’une journée comme une autre. Tout avait si bien commencé, comment avaient-ils pu en arriver là ? Comment la folie avait-elle réussi à s’emparer d’eux ? Et surtout pourquoi ? Pourquoi ce drame aux airs apocalyptiques était survenu ?
Entre la raison et la folie, la ligne était étroite. Ils ne pouvaient dire s’ils l’avaient franchie et quand…ils ne pouvaient plus…qu’assumer.
Panthéïr leva les yeux, le regard hagard, le vacarme provoqué par sa respiration effrénée étouffé par les cris d’agonies de ses frères d’armes. Il rampa lentement, sentant ses muscles se déchirer sous l’effort. Une épaisse brume noire passa devant lui et se matérialisa plus loin, prenant peu à peu l’apparence de quelque chose d’humain. Un visage émergea de la brume ; il se déforma de manière grotesque, sa mâchoire prenant une proportion absurde et irréelle avant de lâcher un cri horrible qui semblait mêler la voix de plusieurs dizaines de personnes torturées.
Puis la brume ne devint plus qu’une ombre terrée sous une épaisse cape noire à capuche qui regardait autour d’elle comme si elle cherchait sa proie.
Panthéir avança lentement, le visage défiguré par la peur et les traits figés par la terreur et l’angoisse, pour aller se cacher sous un arbre. En rampant, il sentit les branches et les ronces caresser ses plaies puis les pénétrer pour les souiller ; il dû se mordre les lèvres pour ne pas crier, implorant paradoxalement Lumen pour que quelqu’un d’autre ne se fasse prendre.
Que pouvait-il faire d’autre ? Il n’avait rien d’autre à faire ! Ils se faisaient tous dévorer les uns après les autres ! Et mourir le dernier lui semblait être un sort bien pire…
Il se tourna et vit que la silhouette noire tenait dans sa main un étrange médaillon argenté. Elle tournait autour d’un soldat allongé qui suppliait en tenant son épée en signe de défiance.
-Ce collier ? Juste un souvenir du passé. Rien de plus, ne t’inquiète pas.
-Re…reculez ! Allez-vous-en ! Partez !
Il pleurait en prononçant ces mots : chaque lettre et chaque mot sonnait comme un requiem lugubre, comme un adieu à ses frères d’armes apeurés.
La silhouette noire se pencha, son corps passant au travers de l’épée comme si elle ne fut jamais là.
-Inutile de parler, fit-elle d’une voix calme, la voix d’un homme jeune et vigoureux.
-Non, je ne veux pas ! J’ai une famille ! Je ne veux pas partir, je n’ai pas fini ici !
-Personne ne veut partir, continua la silhouette sur un ton qui se voulait réconfortante.
Puis sa mâchoire se déforma de nouveau dans un cri affreux qui faisait vaguement penser à de la craie sur un tableau.
Il y eut un autre cri, celui de quelqu’un qui disparaissait à jamais sans laisser de traces, un cri qui mêlait remords, rancœur et terreur. Le cri d’une victime.
Panthéïr laissa échapper une série de larmes et reprit son avancé. Il s’agrippait aux racines pour progresser plus vite sans se soucier de ses plaies et en ignorant la douleur ; seul comptait sa survie à présent.
Une ombre passa près de lui et disparut aussitôt. Il serra les dents et continua d’avancer, implorant que tout s’arrête.
Il repensait à sa famille, à sa fille, à tout ce qu’il n’avait pu faire. Il ne lui avait jamais dit qu’il l’aimait, il ne la verrait jamais grandir et jamais il ne verrait sur son visage le sourire d’une mère qui venait d’avoir un enfant. Les remords progressaient en lui comme il progressait dans la forêt qui faisait office de métaphore de sa conscience. Les larmes ne cessaient de couler sur son visage crispé, lui obstruant la vue de manière radicale.
Il s’adossa contre un arbre et baissa les yeux vers ses blessures : de longues griffures lui striaient le torse de manière horrible ; ses plaies n’étaient qu’un amalgame de chairs et de boues, de sang et de terres. Des épines de ronces trônaient au cœur de celles-ci, fidèlement escortées par des cailloux de toutes sortes.
Pourquoi tout ceci était arrivé ? Tout avait commencé par l’arrivé d’humains étranges qui avançaient comme des pantins, le corps pourrie, les yeux vides, la bouche ensanglanté.
Puis étaient apparus ses sinistres ombres…leur cris avaient brisé les derniers morceaux d’espoir qui restait en lui et ses camarades tandis que ces ombres répandaient la mort comme si elles se trouvaient au cœur d’un troupeau sans Bergé.
Un homme passa près de lui en courant, le bras droit ballant et suspendu seulement par un morceau de chair. Une ombre apparut devant lui, mais il ne la vit pas : il était trop occupé à regarder une dernière fois son compagnon adossé contre l’arbre qui semblait attendre la mort.
Panthéir voulut crier, mais rien ne sortait ; ses cordes vocales ne répondaient plus, comme si son corps ne voulait pas prendre le risque de signaler sa présence.
Une silhouette noire apparue alors, portant une longue toge de soie. Aux formes qui se dessinaient dessous, il devait s’agir là d’une femme. Enfin, ça en avait le corps…
Le fuyard lui passa à travers et tomba la tête première en allant s’éclater le nez contre une racine.
-Procédons à un échange, créature éphémère ! fit une voix féminine dérangeante. Je t’offre le repos, en échange de ta force.
Elle lui posa une main sur le front et ouvrit grand la bouche. Une série de spasmes plus tard, il ne bougeait plus. Ses yeux fixaient le vide et son corps s’était raidi dans une attitude sereine que seule la mort pouvait apporter.
Panthéir ramassa une branche et se leva en titubant dans un effort digne d’un dieu. Il regarda tout autour de lui, mais il ne vit plus rien.
Plus de signes de vie.
Partout dans la forêt reposaient les corps de ses anciens compagnons.
Il avança en boitant vers un corps allongé qui avait la bouche ouverte comme s’il voulait dire quelque chose.
-Maxir, fit-il en secouant la tête pour chasser l’image du cadavre et la remplacer par celle de son compagnon toujours souriant. Tu ne seras jamais un grand capitaine…
-Combien de rêves brisés ? fit une voix.
-Combien ? Firent-une dizaine d’autre voix en cœur.
-Qui est là ? hurla alors Panthéir en avançant maladroitement aux grés du hasard.
Une main lui frôla le visage. Il hurla et accéléra le pas, regardant à droite puis à gauche chaque secondes dans une série de gestes frénétique et démente ; les ombres des arbres se changeaient en un regard en une silhouette menaçante tandis que chaque branches devenait une main grâce à son imagination. Toutes les ombres étaient une menace pour lui, il évoluait dans une forêt de loups, dans un labyrinthe de tourments.
Une forme apparut devant lui.
Il lâcha sa canne de fortune et essaya de calmer sa respiration.
Ils jouaient avec lui depuis le début ; ils l’avaient épargné tout ce temps juste pour s’amuser de sa peur. Ils l’avaient regardé fuir, et il l’avait observé un sourire aux lèvres lorsque ses frères mouraient autour de lui.
Sa fin était là.
Il ferma les yeux, attendant l’ultime châtiment d’un instant à l’autre.
Un souffle brutal lui caressa la nuque.
-Le cauchemar est fini, mortel, fit une voix rauque.
Il s’effondra sur le sol.
Il ne pouvait plus bouger, ses yeux vacillaient : ils vivaient ses derniers instants, et aussi étrange que cela pouvait paraître, ces instants-là étaient les plus forts de sa vie, les plus intenses, les plus vivifiants.
-Marcheur…d’ombre…murmura-t-il alors que ses yeux se fermaient lentement.